Les grades France Wing Chun
Introduction
Vous avez dû être surpris de voir que les couleurs de nos grades ne sont pas les mêmes que dans les arts martiaux plus connus comme le judo ou le karaté. Je me souviens d’une animation que je faisais il n’y a pas longtemps à des enfants qui s’étaient trouvés déçus dans un premier temps d’avoir un professeur avec une ceinture jaune autour de la taille, pensant qu’ils avaient à faire à un débutant, avant bien sûr de me voir en action !
Rappelons que les ceintures de couleurs ont été inventées en Angleterre au milieu des années 1920 puis introduites en France par le professeur Mikinosuke Kawaishi. On trouve dans l’ordre les ceintures blanche, jaune, orange, verte, bleue, violette (seulement si le judoka est trop jeune pour porter la ceinture marron), marron, la fameuse ceinture noire ainsi que deux ceintures supérieures (une rouge et blanche du 6e au 8e dan, une rouge pour 9e et 10e dan).
Ce système de grade de couleur a remplacé l’ancien système qui était lui, lié à des titres tels qu’apprenti, disciple, guerrier, instructeur, maitre éducateur, maitre de référence, etc.
Ce système de code couleur a gagné l’ensemble des arts martiaux, mais comme toujours, les arts martiaux chinois restent fidèles à leur culture qui n’est pas de rentrer dans un conformisme, et plutôt d’exprimer réellement ce qu’ils sont. Le Wing Chun, vous le savez, est particulièrement représentatif de cet esprit avec chaque école qui enseigne « sa » lignée, et garde jalousement ses secrets. Et bien il en va de même des systèmes de grades !
Déjà, la ceinture n’est pas systématiquement utilisée, certains préférant d’autres signes tels que des fleurs de prunier cousues sur leur tenue, des t-shirt de couleur, etc… Et puis surtout, chaque école a inventé son propre système de progression et de couleurs. Logiquement si vous questionnez les créateurs, vous obtiendrez une explication qui se tient parfaitement pour le choix de telle ou telle couleur, qui sont rarement, si ce n’est jamais, choisies au hasard. Par contre si vous regardez bien, vous constaterez certains points communs dans les écoles dites traditionnelles : vous trouverez toujours dans le système, à un moment ou un autre du noir, du rouge, et du jaune. Le jaune sera quasiment toujours le plus haut grade, et vous allez comprendre pourquoi.
Voici donc l’explication pour le système France Wing Chun.
Pour les plus anciens, vous pourrez trouver curieux les quelques modifications que j’apporte, alors que l’ancien système était là depuis longtemps. Sachez que c’est le fruit d’une réflexion sur mon école. Au départ, par simplicité et respect, j’ai fait comme tous les élèves, je suis reparti du système mis en place par mon professeur, en l’occurrence Mak Kwong Kuen. Mais aujourd’hui en m’y repenchant, plusieurs choses me paraissaient obsolètes, sans compter que Mak lui-même a totalement changé de façon de faire (pour les curieux, allez voir sur le site de l’IWCO). C’était donc l’occasion de réfléchir à nouveau à tout cela, à ce que représentait chaque grade, chaque étape, chaque couleur, à ce que je voulais marquer dans votre évolution, et dans celle de l’école. Par exemple pourquoi y avait-il 3 ceintures jaunes ? Pourquoi des barrettes blanches sur les ceintures noires ? Si vous pensiez que c’était des choix faits au hasard ou bien des histoires de contrastes ou d’harmonies de couleurs, et bien vous allez voir que non et vous allez comprendre les évolutions!
Alors pour aller dans l’ordre, pourquoi une ceinture et pas un t-shirt ? La ceinture on l’oublie, ça n’est pas confortable, alors qu’un t-shirt c’est beaucoup mieux penseront certains. A cela je réponds que la première année c’est mieux, c’est vrai, mais au passage de grade suivant, ça devient du grand n’importe quoi : et oui, le t-shirt correspondant au grade d’avant n’est pas si abimé que cela, et puis on ne va quand même pas acheter 2 ou 3 t-shirt à chaque fois, c’est du gaspillage, etc, etc… résultat très vite, vous avez des niveaux avancés qui reviennent avec leur t-shirt vert… et le système que vous souhaitiez mettre en place devient illisible.
Pour pallier à cela, certains ont fait simple : dans certaines lignées, si vous revenez avec le t-shirt du grade d’avant, vous repassez au grade d’avant… vous me connaissez, je ne suis pas du tout dans cet esprit de sanction. Donc ça ne fonctionnerait pas (et ça n’a pas fonctionné, j’ai déjà testé). La ceinture parait alors un choix évident.
D’autres vont alors me dire « mais Lionel, on fait un art martial chinois, alors pourquoi les ceintures de judo/karaté, et pas les belles ceintures chinoises en soie ». A cela je réponds : le Wing Chun est un art martial pragmatique ! Les ceintures de judo, vous les trouvez dans n’importe quelle enseigne de sport. Elles sont à portée de main. Les ceintures en soie, c’est internet. Deuxième raison pragmatique : les ceintures de judo sont résistantes et permettent l’ajout de barrettes dessus, là où ça devient compliqué pour les ceintures fines. Donc pas de soucis à prendre les ceintures type judo/karaté, on ne renie pas la culture du Wing Chun, bien au contraire.
Alors les couleurs à présent.
La première ceinture de notre école est une ceinture de couleur verte et contient deux niveaux que l’on appelle des Kup. La suivante est orange, avec trois niveaux, et la troisième est bleue, avec 2 niveaux.
Pour différencier chaque niveau d’une même ceinture, appelés KUP de la ceinture verte à la ceinture bleue, la ceinture sera revêtue d’une ou plusieurs barrettes de couleur noire. Là aussi pourquoi noir et pas une autre couleur : comme nous le verrons lorsque nous parlerons de la ceinture noire plus en détail, le noir est signe de stabilité.
Ce qu’il faut comprendre également, c’est que la ceinture sans barrette est une première étape où on vous demande juste d’être capable de faire le Tao et les exercices applicatifs de base. Les barrettes quant à elle viennent assoir le fait que vous commencez à comprendre et intégrer les concepts liés au niveau, vous entrez dans le dur comme on dit. Une fois les concepts maîtrisés, vous passez au niveau suivant.
Quand toutes les ceintures et les barrettes sont acquises (soit 7 niveaux au total), vous avez terminé l’enseignement de base et êtes prêt pour recevoir votre ceinture noire.
Les différentes ceintures noires s’appellent des DUAN et la progression de l’une à l’autre est symbolisée par des barrettes rouges. C’est une étape longue, parfois compliquée, que seuls certains atteindront. N’allez pas croire que c’est un aboutissement, c’est justement tout le contraire.
Enfin arrivent les niveaux de maître de la discipline. Là encore, 3 niveaux à parcourir, et vous vous en doutez, là nous parlons vraiment de recherche profonde, de maîtrise de l’art martial sous tous ses aspects et surtout, de transmission.
Alors un premier mot vis-à-vis de tout cela, pour tous ceux qui posent la fameuse question : « mais en combien de temps on devient ceinture noire » ? La ceinture noire, vous pouvez l’atteindre assez vite (bien que vous l’aurez constaté, il y a pas mal d’étapes à passer !), mais si vous avez bien compris aussi, la ceinture noire n’est réellement qu’un début pour parvenir à la maîtrise ! Passer d’un duan à l’autre prend beaucoup d’investissement et de temps, et pour les niveaux maître, je vous laisse imaginer par vous-même. Un rapide calcul devrait vous amener à la conclusion que pour atteindre la ceinture jaune, pour un pratiquant « lambda » c’est-à-dire hors du système professionnel, il faudra au minimum 30 ans de pratique assidue !
Ne fuyez pas tout de suite en vous disant que le Wing Chun n’est pas pour vous, car tout le monde n’est pas destiné à atteindre le statut de maître, mais cela n’empêche pas d’atteindre un excellent niveau!
Alors à présent, je vais vous expliquer la raison du choix des différentes couleurs. La première chose que l’on voit de suite dans notre école est que la couleur blanche n’est pas présente et voici les deux raisons à cela :
« Le Blanc, le symbole de la pureté et de la mort »
I/ Le blanc symbolise la pureté et la luminosité de l’élément métal. Pour les chinois, il s’agit de la couleur officielle des vêtements à porter lors d’une cérémonie funéraire. Eh oui, en Chine, on ne porte pas de noir lors des obsèques, mais du blanc ! Cette couleur signifie que les Chinois accompagnent le défunt au royaume de la pureté et des cieux.
II/ Dans la cosmologie chinoise, la couleur blanche est associée à l’élément du métal (金). Le départ du cycle des 5 éléments se fait à l’élément bois et non au métal (pour les curieux, j’ai écrit des articles sur ce sujet et même fait une vidéo didactique que vous pourrez retrouver sur Youtube).
Le blanc ne peut donc pas être une couleur de départ pour nous, car elle est clairement mise dans la culture chinoise plus tard dans la manière d’avancer dans la vie et elle n’est pas une référence appropriée, car sa symbolique est une idée de fin.
« Vert, la couleur de la propreté »
Selon la cosmologie chinoise toujours, la couleur verte est liée à l’élément du bois (木) et nous venons de dire que le départ du cycle des 5 éléments se fait au bois (pour rappel, le cycle des 5 éléments, c’est la symbolique de tout cycle vivant, de toute idée, de tout évènement). Démarrer quelque chose par la couleur verte est donc logique, sans compter que c’est une couleur positive qui représente la prospérité, la fertilité, le renouvellement, l’espoir ou encore l’harmonie.
Le titre du paragraphe dit « propreté ». Voici un concept qui peut paraitre bizarre, mais repensez à cette histoire : un maitre zen partageait le thé avec un futur disciple. Celui-ci l’assenait de questions, tellement enthousiaste d’apprendre. Le maître l’écoutait en silence, puis se mit à remplir la tasse de son élève jusqu’à ce qu’elle déborde. Le disciple voyant cela interpella le maitre en lui disant « mais maitre la tasse déborde, continuer à la remplir ne sert à rien ». Le maitre lui offrit alors sa première leçon : « je suis d’accord et sache que ton esprit est comme cette tasse, sans que tu le vides de toutes tes questions, je ne pourrai y mettre un thé nouveau ».
Dans la pratique Wing Chun, il en va de même. Lorsque l’on débute le Wing Chun il faut faire le ménage en soi et être prêt à commencer de zéro. Il n’est pas rare d’entendre des débutants ou personnes venant essayer un cours, dire : mais là avec ta façon de faire jamais on ne bloquera le coup de poing de l’adversaire ! et ils ont raison dans l’absolu, sauf qu’ils n’ont pas compris l’idée de l’exercice. L’idée, généralement, n’est pas de bloquer mais de dévier, et pour apprendre à dévier il va falloir apprendre d’autres façons de mouvoir son corps et l’enjeu de l’apprentissage est là.
Ces façons qui sont au départ non-naturelles, sont difficiles à admettre pour le corps mais surtout pour l’esprit, la raison, qui eux souhaitent se raccrocher à des façons de faire connues et maitrisées. L’objectif est d’oublier ces anciennes habitudes et de les rendre de nouveau naturelles pour le corps.
Le Siu Lim Tau, qui signifie « l’idée qui germe » est la base de cette logique de nettoyage par le vide et de mise en place d’un renouvellement d’idées permettant au corps de devenir un terrain fertile à exploiter. Dans ce niveau, le but est la mise en place des 5 grandes idées qui sont : la relaxation, la ligne centrale, le concept de face, les coudes statiques et l’attaque-défense simultanée.
Ces grandes idées vont à l’inverse de la naturalité du corps: être détendu lors d’un affrontement est juste impossible ; travailler sur des lignes droites alors que le corps sous stress n’arrive pas à les gérer est un enfer ; rester de face exposant ainsi le corps à toutes les frappes potentielles de l’adversaire est dangereux ; garder ses coudes près du corps alors qu’on veut juste maintenir l’adversaire loin de soi en tendant les bras ; ou encore défendre et frapper en même temps demande une grande harmonie alors que le combat c’est le chaos. Tout cela n’est pas pour faciliter la tâche du pratiquant débutant.
Bruce Lee disait « au départ un coup de poing n’est qu’un coup de poing mais à partir du moment où l’on commence le Wing Chun, un coup de poing est bien plus qu’un coup de poing et le jour où l’on est un pratiquant digne de ce nom un coup de poing n’est au final qu’un coup de poing ». On va du naturel au non-naturel puis du non-naturel au naturel.
Pour atteindre le premier Kup, il faudra avoir compris et appliquer les 3 premières idées du Wing Chun qui sont la relaxation, la ligne centrale et les coudes statiques. Pour le deuxième Kup il faudra avoir compris et acquis les deux autres idées qui sont le concept de face et l’attaque/défense simultanée.
Maintenant que les graines sont semées, viens la ceinture de couleur Orange.
« Orange, la couleur du bonheur, de longue vie »
Cette deuxième ceinture est souvent, dans la pratique du Wing Chun, un moment très apprécié où les pratiquants trouvent une plus large part à l’expression corporelle. On y voit comment bouger, se déplacer et interagir avec le partenaire/adversaire. C’est en quelque sorte le moment où l’on donne de la vie à sa pratique.
La couleur orange 橙色 (chéngsè) s’écrit avec le même caractère que le fruit 橙子 (chéngzi). Il se compose de la clé de l’arbre 木 et du caractère 登 signifiant grimper.
Ici les mots arbre et grimper sont symboliques car ils offrent une idée d’évolution et de continuité.
Pour grimper sur un arbre le plus dur est d’attraper la première branche. Ensuite il vous suffit de passer de branche en branche. La ceinture orange c’est l’apprentissage du Cham Kiu, qui signifie « Chercher le pont ».
Un pont est un ouvrage d’art qui permet de franchir un ou des obstacles naturels. Dans le Cham Kiu cela signifie qu’il va falloir chercher des moyens de passer d’une façon de faire à une autre, tel qu’on le ferait en grimpant de branche en branche sur notre arbre cherchant le meilleur chemin pour arriver le plus haut possible.
Sortons de notre image d’arbre un moment pour reprendre notre couleur. Le orange c’est un mélange de la couleur jaune et rouge. Nous verrons après dans cet article que ces deux couleurs sont importantes dans la culture chinoise, mais ce que je voulais symboliser par ce choix, c’est que c’est ici que se font les essais, les expériences dans le mélange de ces deux couleurs. Dans l’apprentissage de ce niveau, on travaille des thèmes : les déplacements, les esquives, le dur, le flexible, etc. Tous ces thèmes sont pris indépendamment dans l’apprentissage, mais devront être mélangés afin de trouver le moyen d’arriver à une teinte qui va exprimer le ton du pratiquant.
Sorti du langage fleuri, cela signifie que si l’on n’est pas super bon dans un ou l’autre de ces thèmes, le but étant bien sûr de s’améliorer, on peut par un subtil effet de mélange entre chaque thème réussir à trouver une réelle efficacité de sa pratique.
Si l’on reprend notre image d’arbre à grimper, lorsque vous montez sur l’arbre, parfois le premier chemin que vous prenez vous amène sur une voie sans issue. Il faut alors trouver le moyen de continuer quitte à redescendre et repartir avec une nouvelle vision du chemin à prendre. Plus on cherche, plus on connait chaque branche de son arbre et comment les aborder.
Il y a 3 divisions dans ce niveau orange, marquées par une ou deux barrettes. Le premier niveau est la validation des deux premiers thèmes : les esquives et les déplacements. La première barrette validera quant à elle les thèmes du flexible et du dur. La deuxième barrette validera l’addition des coups de pieds dans l’ensemble des thèmes vus précédemment.
« Chercher le pont » : il y a 10000 interprétations possibles à cette expression. Mais voici une idée importante concernant cette ceinture : bien souvent, ce niveau orange fera la différence entre les élèves qui travaillent, qui s’impliquent et qui progressent, et ceux qui pratiquent en mode loisir. Attention aucun jugement dans ce que je dis, les deux chemins sont individuels et respectables. Mais il est vrai que tous les élèves venant en cours collectif sans en faire plus parviendront tôt ou tard au niveau Cham Kiu. Sauf que les premiers continueront leur progression là où les seconds resteront bloqués, souvent entre le 3ème et le 4ème niveau. Car pour atteindre le niveau suivant, participer aux cours collectifs ne sera jamais suffisant. Une implication personnelle, un travail individuel en dehors des cours sera indispensable, et fera toute la différence.
« Bleu, la couleur de l’intégrité »
En chinois, la couleur bleue s’écrit 蓝 (lán). Le caractère chinois est composé des radicaux de l’herbe (艹), du couteau (刀) et du récipient (皿). Le bleu n’est pas une couleur primaire en Chine, il est considéré comme une teinte de vert. Le bleu symbolise l’avancement, la croissance et l’optimisme. Dans la culture traditionnelle chinoise, le bleu était souvent associé à des qualités positives, telles que la loyauté, le courage, l’honnêteté et l’intégrité. Ces valeurs font écho pour notre école car l’élève atteignant ce niveau a fait un long chemin pour en arriver là, en respectant l’enseignement et les valeurs de notre système et de l’école. Bien souvent c’est un élève présent depuis plusieurs années, impliqué, loyal, et qui a sû se débarasser de pas mal d’idées préconçues pour avancer dans le système. Son courage n’est plus à démontrer non plus, car la ceinture bleue n’est pas une mince affaire à décrocher comme je l’ai expliqué juste avant. Le bleu est souvent utilisé pour représenter le concept du yin et du yang, le bleu étant considéré comme l’équilibre parfait entre les deux. Dans notre école c’est à ce moment que l’on apprend la forme « Biu Jee ». Cette forme permet de fusionner les deux formes vues précédemment en y intégrant une dimension de puissance et d’impulsivité. Ces deux critères vont être atteints par le développement des forces en spirale et du relâchement entre la taille et le bassin. C’est aussi grâce à cette forme que l’on enseigne les techniques dites de Self-défense, les techniques qui doivent sortir lors de moments de panique. C’est avec cet esprit que l’on retrouve une autre symbolique de la couleur bleue : dans l’opéra chinois, les personnes dont le visage est poudré de bleu sont des personnages mauvais. Dans ce cas, le bleu représente la férocité et la ruse, des émotions nécessaires dans ces instants de conflit.
Il y a 2 divisions dans ce niveau bleu, marquées par une barrette noire. Le premier niveau est la validation de l’apprentissage de la forme, ainsi que le travail pragmatique des applications telles que les amenés au sol, les coups de coude, etc. La première barrette validera quant à elle l’application des forces en spirale et de la gestion d’agression et permettra de se diriger vers le travail au mannequin de bois.
Ça y est, à ce stade, vous avez terminé l’apprentissage de base, vous commencez à comprendre l’essence du Wing Chun. Votre corps a lâché ses habitudes premières, il répond aux principes de base du Wing Chun, vous êtes cadrés. Il est donc possible de faire un grand pas en avant et de vous apprendre à explorer votre Wing Chun ! Place à la ceinture noire.
« Noir, le symbole de la sobriété et de la stabilité »
Dans l’esprit de beaucoup au démarrage de leur apprentissage, la ceinture noire est le Saint Graal, c’est « le » niveau qui fait de vous un bon pratiquant, c’est « le » niveau qui fait rêver. Pas mal de pratiquants en arrivant là vont s’arrêter et partir vers de nouveaux horizons, pensant avoir terminé leur chemin. Si autour de vous on vous demande à quel niveau vous êtes et vous répondez « ceinture noire », il s’en suit un « ah ouais, pas mal », signe que ce niveau est reconnu par-delà les disciplines. Et pourtant, la première Duan et toutes les ceintures qui suivent marquent un nouveau départ.
La couleur noire se dit 黑色 (hēisè) en chinois. Le caractère 黑 se compose de trois parties : la moitié de la clé du champ (田), le radical de la terre (土) et celui du feu (灬) . Tout comme en Occident, la couleur noire représente des choses sérieuses et formelles. Le noir c’est la profondeur, la vertu et la rigueur. Le noir renvoie également à la connaissance, à la stabilité et au pouvoir. C’est le cumul de toutes les couleurs. Cette couleur va donc marquer une validation dans ce qui a été acquis. Votre niveau se conforte.
Mais le noir, c’est aussi l’ombre et la noirceur !
La ceinture noire, c’est un moment où l’on s’aperçoit du chemin parcouru et bien souvent du chemin qu’il reste encore à parcourir. Par contre à l’inverse du chemin parcouru, celui à venir ne sera pas de tout repos car il va demander encore plus d’efforts et de sacrifice.
A ce stade, le pratiquant ne peut pas se contenter de faire les choses, il doit chercher, et se remettre en cause. Pour ceux qui connaissent, vous pouvez faire un lien avec « l’œuvre noire » de l’alchimie : à cette étape, l’alchimiste doit travailler sur lui pour faire tomber l’ego et révéler l’or qui se trouve en lui. C’est une étape qui demande énormément de persévérance, comme si on nous disait « persévérer, c’est percer la nuit pour voir la lumière ».
Les ceintures noires sont un clan de pratiquants qui ont un savoir, mais qui ont aussi le devoir de le garder jalousement, car révéler certaines parties de ce savoir trop tôt aux personnes qui sont sur les niveaux inférieurs et qui doivent cheminer pour comprendre et absorber, va leur mettre des obstacles qui pourront plus tard leur porter préjudice. Faciliter ou faire gagner du temps ne sont pas toujours dans le domaine des arts martiaux un gain ou un avantage. La couleur noire symbolise en effet aussi le secret, comme dans le mot mafia, qui se dit société noire en chinois (黑社会, hēishèhuì).
D’un point de vue technique, c’est à ce niveau que l’on apprend le mannequin de bois, forme qui va mettre le pratiquant face à lui-même et ses compétences, car l’homme de bois ne lui facilitera pas la vie. Le mannequin de bois n’aide pas en bougeant, il n’aide pas en étant souple et flexible, et il n’aide pas à absorber votre force. Le mannequin permet de cadrer chaque mouvement et déplacement, c’est en ne vous aidant pas qu’il aide à rendre votre pratique plus sobre, plus stable.
Le forme du mannequin de bois est dans notre école divisée en deux idées distinctes : le premier niveau sera la validation des 4 premières sections du mannequin ; la première barrette rouge (le rouge étant symbole de réussite) validera quant à elle, la maitrise de ces 4 sections et l’apprentissage des 4 suivantes.
Puis on pratiquera tour à tour les différents outils de notre lignée Wing Chun que sont les poteaux surélevés « Mui Fa Tchong » marqués par 2 barrettes rouges, les couteaux « Baat Cham To » 3 barrettes rouges et le baton long « Lok Din Poon Kwan » 4 barrettes rouges.
Ne croyez pas que ces étapes sont faciles car bien sûr, apprendre un nouveau Tao n’a rien de particulièrement compliqué. Mais dans ces niveaux, réussir à appliquer les idées cachées dans les taos et les intégrer à sa pratique peut se révéler un véritable chemin de croix, d’autant plus que les partenaires en cours se font rares à ce niveau. Vous êtes bien souvent seuls à chercher et à essayer. Et on le sait tous : quand on essaie quelque chose de nouveau, quand on sort de sa zone de confort, bien souvent ça ne marche pas ! Imaginez le doute qui peut accompagner ces pratiquants dans ces étapes !
Pour ceux qui y parviendront, ils passeront à un tout autre niveau une nouvelle fois. Cette fois on peut dire qu’ils ont compris le Wing Chun et qu’ils le vivent pleinement. Reste maintenant à l’appliquer concrètement.
« Rouge, le symbole de la joie et de la bonne fortune »
Le caractère de la couleur rouge s’écrit 红 (hóng). Si on le décompose, on peut voir qu’il est formé du radical de la soie(纟) et du radical du travail (工). Dans la cosmologie chinoise, la couleur rouge est associée à l’élément feu (火). C’est une couleur que les Chinois adorent et qui est très présente dans leur culture. Elle fait référence à la chance, au succès et à la réussite financière. Dans la chine ancienne, seuls les nobles et les personnes ayant le privilège de la cour pouvaient se vêtir de rouge.
Si vous voyagez en Chine, vous verrez cette couleur sur les bâtiments, dans les décorations, sur les vêtements ou encore dans les publicités marketing. Le rouge est omniprésent dans ce pays. Il s’agit même de la couleur principale du drapeau national !
Dans l’opéra de Pékin, les personnages dont le visage est maquillé en rouge sont loyaux, honnêtes et braves.
Arriver ici est la symbolique de réussite, on entre dans la sphère des privilégiés qui ont acquis une bonne connaissance du Wing Chun, dans tous les domaines, bien sûr la pratique, mais aussi son histoire, sa culture, sa philosophie, son éducation et sa spiritualité.
Dans notre école c’est à ce niveau que l’apprentissage des Fan Ké (sorte de boxe mixant l’ensemble des connaissances vues précédemment) et de l’exploitation très libre du Wing Chun pour une utilisation pratique sont abordés.
A ce niveau le pratiquant est réalisé, il est alors un appui pour le maitre qui va lui faire part de ses expériences passées, en cours, et futures. Le pratiquant devient disciple (ceinture rouge avec une barrette jaune).
Ce statut de disciple l’amènera à comprendre l’ensemble des chemins possibles pour enseigner et former tout type de personne, il deviendra alors professeur (ceinture rouge avec 2 barrettes jaune), car à ce stade, le pratiquant se doit de transmettre à son tour. C’est donc en formant lui-même plusieurs pratiquants de bon niveau que le disciple pourra prétendre au titre de professeur, dernière étape avant d’être reconnu maître au sens propre du terme.
« Jaune, la couleur de l’empereur »
En mandarin, le jaune se dit 黄色 (huángsè). Selon la cosmologie traditionnelle, le jaune est associé à l’élément de la terre (土). Les Chinois considèrent que le jaune est au centre de tout et qu’il génère le Yin et le Yang. Cette couleur symbolise également la richesse et la noblesse en Chine.
Elle était d’ailleurs autrefois réservée à l’empereur. Le premier empereur, qui est considéré comme le fondateur de la civilisation chinoise, est surnommé l’Empereur Jaune ou Huang Di (黄帝, Huángdì). La Chine est d’ailleurs souvent qualifiée de terre jaune et sa rivière principale de fleuve jaune. Dans le bouddhisme, le jaune est également important, car il symbolise l’humilité et la vacuité. Dans le Feng Shui, il symbolise la convivialité, la confiance et le pouvoir de volonté.
Dans beaucoup d’écoles de Wing Chun le jaune, symbole ultime, est réservé pour le maitre de l’école. Dans la tradition ce niveau était donné par le maitre avant sa mort à l’élève qui était le plus avancé et le plus à même de lui succéder. Les choses ont changé de nos jours car on peut arriver à ce niveau du vivant de son maitre. Il y a dans ce cas-là, un dicton chinois qui s’applique : deux tigres ne peuvent vivre sur la même montagne !
Il ne peut y avoir qu’une ceinture jaune par lignée, un seul maitre. Donc pour l’élève qui souhaite rester dans l’école, il doit attendre la mort de son maître pour essayer de briguer la place. Si toutefois la place est attribuée à un autre élève ou qu’il ne souhaite pas attendre jusque-là, il sera invité à partir et à apposer son nom face au nom du système Wing Chun. On retrouve cette symbolique dans les films Ip Man : à chaque fois qu’il y a un défi de maitre, vous entendez chaque protagoniste donner son nom-prénom suivi du style pratiqué.
Faire cela permet à l’élève du maitre de prendre certaines libertés dans sa manière d’enseigner ou de faire, et au maitre de se dédouaner, de ne pas cautionner les changements qui pourraient être faits et aussi de se déresponsabiliser de cette branche devenue parallèle. Bien sûr l’élève peut aussi décider de s’émanciper complètement en donnant une identité nouvelle à son système. On peut le voir dans des lignées type Wing Tsun, Wing Chun évolution ou Wing Taï, etc.
Dans notre école, les niveaux rouges sont adaptés pour justement prendre cette indépendance petit à petit.
Vous comprenez maintenant le système de grade France Wing Chun. Vous avez aussi vu que les niveaux les plus avancés intègrent la notion d’enseignement, car bien évidemment, pas de maître sans élèves ! Cela étant, il faut faire la différence entre les instructeurs que vous connaissez bien qui sont autorisés à prendre en charge une section, et le professeur du 8ème Duan. Le professeur est indépendant, il est capable d’emmener ses élèves jusqu’au plus haut niveau sans l’aide directe de son maître car il maîtrise déjà parfaitement le système. Pour les instructeurs, le chemin se fait en lien direct avec le maître, qui reste le référent et qui suit l’avancée des élèves tout en continuant de former ses instructeurs. Ceci explique qu’un instructeur puisse prendre en charge une section en étant « seulement » au niveau 1ere Duan, voire même sous ce niveau dans quelques cas exceptionnels.
Quoi qu’il en soit, vous voyez que chaque bloc de grades est lié à une étape dans l’apprentissage et qu’entre chaque bloc, il y a un grand pas à franchir. Les élèves (Kup) ont pour « mission » de comprendre et d’intégrer les bases du Wing Chun. Ils découvrent et doivent accepter le système dans leur corps, comme dans leur esprit. Les élèves avancés (Duan) quant à eux, doivent explorer le système, et commencer à lui donner une vie plus proche d’une application pratique. Ils doivent commencer à pousser les limites pour ne pas se laisser enfermer dans une forme de rigidité. Quant aux niveaux maîtres bien évidemment, on passe dans une autre dimension de pratique où le but n’est pas d’être un bon pratiquant mais un transmetteur.
Je remets progressivement en place ces grades pour vous aider dans votre progression, car on ne prend pas toujours pour modèle les bonnes personnes. Quand vous voulez vous inspirer d’autres élèves pour un mouvement ou réussir un exercice, quand vous voulez travailler avec d’autres élèves, aidez-vous des grades juste au-dessus de vous! Il sera toujours bénéfique pour vous de travailler avec les grades qui vous entourent, pas la peine de chercher à tout prix les plus avancés, car eux sont peut-être en train de travailler autre chose. Par contre, quand vous avez une question sur le système lui-même, ne vous orientez pas sur vos camarades de même niveau. Allez chercher les plus avancés et les instructeurs.
Il est vrai que chez France Wing Chun le chemin est long, très long pour atteindre les plus hauts niveaux, reflet de ma propre exigence vis-à-vis du Wing Chun. Mais quand vous obtenez un grade, vous pouvez vous dire qu’il a une vraie valeur, dès la 1ere Kup, alors soyez fiers de porter vos ceintures !
Lionel Roulier