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Toucher la tradition Wing Chun du bout des doigts

03.09.2019

Lionel Roulier

Voici (enfin) comme promis le décryptage de la chanson originelle des pratiquants de Wing Chun.

 

Petit rappel car cet article date maintenant de 4 mois et un petit résumé s’impose :

 

Cette chanson a été écrite lors de la période où les artistes martiaux se cachaient sur les jonques rouges, car ils étaient hors la loi et mis à mort si découverts.

 

Leur choix de se cacher sur les bateaux d’artistes était stratégique, car pour donner des représentations, ils devaient parcourir l’ensemble du territoire.

 

Cette mobilité permettait ainsi de véhiculer des informations et de former un maximum de personnes pour lutter contre l’envahisseur mandchou.Encore fallait-il ne pas être trop explicites dans ce qu’ils disaient afin de ne pas être démasqués.

 

Chaque phrase de cette chanson contient des doubles sens, voir plus parfois. Je vais prendre deux axes qui seront les plus compréhensifs pour tous, mais je vous précise que ces deux voies ne sont qu’un point de départ à des réflexions plus vastes. Je vous rassure, ce n’est pas ici que je vous ferais un cours de philosophie.

 

Prenons donc une voie qui sert le pratiquant d’art martiaux et une autre voie qui sert à la transmission de la pensée chinoise.

 

Voici les cinq première phrases expliquées :

 

Les techniques du Wing Chun Kuen sont uniques,  les méthodes sont impénétrables, il faudrait éviter de les modifier!

 

Ce qui est dit derrière cette phrase est que la méthodologie du système Wing Chun est très complexe et qu’il est difficile pour chaque pratiquant d’en appréhender tous les recoins.

 

Et quand on n’a pas vu l’ensemble des méthodes, ou que l’on n’a pas compris certaines parties, il est naturel pour l’humain plutôt que de laisser en l’état une case manquante, de la remplir par des idées ou pensées auxquelles on peut se raccrocher afin de combler le vide.

 

Ces idées ou pensées n’étant que des interprétations personnelles, le risque de modification est très présent et aussi très facile.

 

Si vous regardez chaque école de Wing Chun, il vous sera facile de voir que tout le monde fait le même art martial Wing Chun, mais avec autant de variations que d’écoles.

 

Bien sûr les mouvements simples ont tous gardé leur présence, nous retrouvons dans chaque école le mouvement Tan Sao mais, plus on regarde en détail, plus on voit que des idées, pensées ou l’expérience du professeur, ou même du professeur de celui-ci, ont peut-être modifié certaines choses.

 

Je parle du Tan Sao car c’est souvent le mouvement qui est à la base le plus modifié, car plutôt que de le laisser en l’état,beaucoup de professeurs le modifient pour l’adapter aux coups de poing courants d’aujourd’hui, je parle bien entendu du crochet.

 

Étant la première phrase de la chanson, on pourrait se dire que c’est la plus importante de toutes, et moi qui pratique depuis 25 ans le Wing Chun, qui ai rencontré plus d’une centaine de professeurs et encore plus de pratiquants, c’est ce que je me dis !

 

Si vous avez suivi mes articles qui étaient intitulés :« mon Wing Chun c’est le vrai, non c’est le mien », vous pourrez facilement comprendre pourquoi je suis aussi affirmatif.

 

Le deuxième sens de cette phrase était un rappel aux personnes qui ne prenaient pas parti dans le conflit et restaient neutres, que si elles acceptaient ce changement imposé par les mandchous, alors la culture des mings s’en trouverait dénaturée, voire oubliée.

 

Un bon enseignement, une bonne pratique et un bon état d’esprit sont essentiels.

 

Pas trop de difficultés pour cette phrase, je pense que vous aurez tous compris que si vous avez une personne qui vous apporte le savoir, que vous pratiquez ce savoir, tout en gardant à l’esprit que le respect entre ces deux entités est indissociable, vous et même l’enseignant aurez de grands résultats.

 

Afin d’aller plus loin, il est quand même important de se demander ce que veut dire un bon enseignement.

 

Si vous apprenez un nouveau savoir, et que vous voulez devenir bon dans ce domaine, le chemin est assez simple, il vous faut dans un premier temps comprendre ce que l’on vous enseigne.

 

Vous vous êtes aperçus dans votre vie que si on vous explique mal une situation ou une tâche, et bien cette action mal comprise sera mal effectuée.

 

Un bon enseignant est en fait un bon transmetteur,c’est une personne qui arrive à vous passer des informations compréhensibles et je rajouterais détaillées.Le bon enseignement d’un savoir serait donc une méthodologie efficace pour accéder à la compréhension de ce savoir.

 

Il est important aussi de dire que pour qu’il y ait bonne transmission de savoir il faut un récepteur, dans le cas du Wing Chun l’élève.

 

il est donc important d’insister sur le fait que le récepteur doit savoir être discipliné et attentif pour prendre ce savoir.

 

Et oui, si on n’écoute pas ou si on pense à ce que l’on a vu sur Youtube pendant que l’enseignant parle, ou pire que l’on coupe la parole à son enseignant lorsqu’il explique, il ne sera pas facile de passer le savoir correctement, j’utiliserais l’expression martiale il faut bien souvent vider sa tasse avant de la remplir de nouveau.

 

Un enseignant est souvent jugé au travers de ses élèves. Donc si un élève est mauvais, pour le public c’est potentiellement que l’enseignant est mauvais.

 

Que ce soit en effet la faute de l’enseignant qui n’est pas un bon transmetteur et dans ce cas, il est normal que ce soit l’image qui lui est associée, ou que ce soit la faute de l’élève qui n’est pas un bon récepteur et dans ce cas, il est anormal que l’enseignant soit mal jugé à cause de lui.

 

Du coup, l’élève ne doit jamais oublier qu’il véhicule l’image de son maître au travers de ses attitudes.

 

Voici un petit schéma, qui pourrait résumer ce que je viens d’exprimer.
Si l’on s’arrête à cela, on se dit qu’il manque probablement quelque chose, c’est là qu’intervient la notion de bonne pratique et de bon état d’esprit.

 

Car on ne peut correctement acquérir un savoir que si les conditions de motivation et de concentration sont au rendez-vous.

 

C’est ce que je nomme l’environnement, si vous venez pratiquer dans un cadre approprié, il sera aisé d’apprendre et si l’état d’esprit du lieu et des personnes qui s’y retrouvent vous convient là aussi, il sera facile d’apprendre.

 

Vous devez entrainer votre cœur à être courageux.

 

Je trouve cette phrase superbe pour ma part, car elle exprime bien ce qui doit être fait en permanence dans nos vies de chaque jour.

 

Être courageux n’est pas toujours naturel, mais cela se travaille au quotidien telle la musculation ou tout autre entrainement physique.

 

Dans le Wing Chun et surtout dans le Chi Sao, il y a énormément de codes, de principes, de règles, de restrictions qui sont mises en place. Tout cela est souvent pour mettre en défaut le pratiquant afin qu’il ne reste pas campé sur ce qu’il sait faire, mais prenne le courage d’aller tester de nouvelles choses.

 

Il faut plus de courage à essayer des choses qui ne vont peut-être pas réussir, car au final ce n’est pas la technique qui est au cœur du travail mais le courage.

 

Être calme et souriant alors que vous êtes en train de combattre avec votre adversaire est la base d’une bonne histoire.

 

Je pense que tous vous avez compris de quoi il s’agit, car ce principe de garder son calme pendant la tempête a été repris par bon nombre d’enseignants.

 

Mais il est intéressant de voir que deux termes sont utilisés dans cette phrase, calme et souriant.

 

Ce qu’il faut garder à l’esprit est que la traduction que nous faisons est toujours réductrice par rapport à l’image qui est envoyée dans la langue chinoise.

 

Dans la tradition taôiste et sa médecine traditionnelle, le corps est divisé en trois points que l’on nomme les Tan Tien. Vous avez sûrement entendu parler du Tan Tien situé sous le nombril d’où l’énergie tire sa source. Le deuxième est situé au niveau du cœur, et le troisième au centre du front entre les sourcils.

 

Aujourd’hui bon nombre de formations de développement personnel ont repris l’idée (exemple la CNV, communication non violente) qui explique que :

  • Le Tan Tien du ventre c’est celui qui gère les faits, le factuel.
  • Le Tan Tien du Cœur, c’est celui qui gère les émotions.
  • Le Tan Tien de la tête, c’est celui qui gère la raison.

Ici le calme et le sourire sont un moyen de dire au pratiquant que s’il maitrise le Tan Tien du ventre et le Tan Tien du cœur, il pourra vivre une bonne histoire au niveau de son troisième Tan Tien, en un mot garder la tête froide.

 

Faites confiance à vos ponts pour juger de la situation de votre ennemi.

 

Il est important de bien comprendre ce qu’est l’image des ponts en Wing Chun, je vous invite à lire ou relire mon article sur leurs explications : Lire l’article, cliquez sur ce texte

 

J’y explique que les ponts sont des images symboliques qui permettent de construire des liens dans le corps pour acquérir de nouvelles compétences (ou modifier des choses déjà là) dans ce cas, on construit un/des ponts internes (des liens entre chaque chose en soi).

 

Mais ils sont aussi des idées et concepts qui permettent de construire des liens entre soi et l’adversaire (ou le monde externe).

 

Ici dans cette phrase le terme confiance est important car il est plus lié à l’émotionnel que l’intellect.

 

Il n’est pas chose facile de se sentir en permanence en confiance dans la vie de tous les jours et encore moins dans un échange martial.Et s’auto-convaincre par la raison n’arrange rien par moment.

 

La phrase ici insiste sur le fait que l’on doit se faire confiance au niveau émotionnel pour juger de la situation de l’ennemi, car c’est vous qui allez entrer dans le combat avec soit l’envie d’en découdre, soit la peur d’être vaincu.

 

Suite au prochaine épisode…

author: Lionel Roulier

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