Lionel Roulier
Le caractère « Wing » utilisé dans le nom de notre art martial, signifie « toujours, perpétuel ou éternel », le caractère « Chun » signifie « printemps, une période de croissance nouvelle ».
C’est de là que la traduction connue aujourd’hui de notre système, est boxe du printemps éternel ou radieux.
Il est dit par certains historiens du Wing Chun, que le caractère « Wing » était différent à la naissance du style. Il y a en effet un autre caractère chinois qui se prononce aussi « Wing » mais qui signifie « réciter, chanter, louer, ou chant ».
Il est intéressant de connaître l’histoire et la culture de cette période en Chine car cela nous indique d’autres voies de compréhension du style que nous pratiquons.
C’était une période de répréhension pour les Ming. La transmission était donc exclusivement orale pour ne pas laisser de traces. Le mot chinois « Yim » signifie « interdire ou garder secret ».
Ainsi en ajoutant Yim à Wing Chun, nous voici avec l’idée « être discret, secret, et transmettre oralement l’art révolutionnaire ».
Pour s’assurer que l’art ne serait pas maltraité ou ne tomberait pas entre de mauvaises mains, le système Wing Chun n’a donc jamais été documenté, mais cette chanson est un peu une trace de ce passé.
Voyons la dernière partie de ce décryptage.
Ah oui, j’entends d’ici votre questionnement : « mais alors l’histoire racontée par Ip Man, cette légende d’une jeune femme nommée Yim Wing chun formée par la nonne Ng Mui ne serait pas réelle ? ». Je ferai un prochain article afin de répondre à cette question.
Un jour vous découvrirez le mystère qui se cache à l’intérieur.
On comprend qu’il s’agit là d’une phrase philosophique nous donnant à réfléchir sur un mystère qui se cacherait en nous. Mais quoi chercher et comment arpenter le chemin pour trouver ce qui est caché en nous.
Pour éclaircir un peu ce mystère, je vous propose de prendre les bases du Taôisme.
Il est dit dans le Taôisme qu’il y a trois joyaux dans la vie de l’homme qui sont la compassion, la frugalité et l’humilité. Ces trois joyaux sont associés à de nombreuses pratiques et doivent amener aux vertus nécessaires qui permettront la révélation du mystère qui est en nous.
Notez que ce dogme de la trinité se retrouve dans de nombreuses religions, montrant que les racines ancestrales de la recherche de soi sont universelles.
Les trois vertus traditionnelles liées à la pratique des arts martiaux chinois sont la souplesse, la forme physique et le timing auxquelles se rajoutent les trois clés du succès qui sont exigence de la discipline, acquisition de la maîtrise de soi et persévérance.
Le Wing Chun de part sa construction pédagogique et pragmatique, permet de tracer des axes de travail et de réflexion qui vont au long de ce voyage nous aider à révéler ce qui est en nous et qui nous sommes vraiment, et pour ceux qui arriveront à s’imprégner de ses vertus, obtenir les joyaux tant convoités.
Honorez votre professeur et respectez l’art, année après année, l’honnêteté et la détermination donneront naissance à la grandeur!
Pour la plupart des chinois, les principales relations sociales sont d’abord la famille, ensuite les collègues ou les condisciples. A la campagne, la relation de voisinage est très importante aussi, après les amis, mais ces liens sont souvent venus des deux premiers.
Quand on parle de la famille, ce n’est pas la famille de deux génération du sang, mais d’au moins trois générations, et de toutes les relations que ce soit germaines ou par le lien du mariage.
L’unité de base sociale étant la famille, les chinois sont disciplinés et éduqués à sacrifier leur bien-être personnel pour l’intérêt du groupe.
Le professeur est le SiFu. Cette idée a deux écritures possibles. La première 師傅, où le Si 師 signifie « enseignant, maître, expert » et le Fu 傅 signifie « tuteur », aura pour sens « maître, expert » et sera utilisée comme titre de politesse pour exprimer le respect envers l’expérience et les compétences d’un individu.
La deuxième écriture possible est 師父, où le Fu signifie « père ». Cette expression porte alors un double sens et dénote d’une manière explicite une relation maître-disciple. Ce terme est donc utilisé par un individu seulement envers son propre maître ou enseignant.
En montrant votre respect, votre considération, ainsi qu’en rendant hommage aux qualités de votre professeur, vous pourrez passer de la première relation, celle d’un élève parmi les autres, à la deuxième relation, celle d’un membre du clan à qui l’on fait confiance.
Dans beaucoup d’écoles de Wing Chun, une cérémonie est faite pour les élèves qui entrent dans cette relation, ils passent alors du statut de To Daï (élève) au statut de Bai Si (disciple). Les To Daï ont accès aux bases du système, tandis que les Bai Si auront accès à l’ensemble de l’expérience et du savoir du maitre.
Je pense que vous aurez compris le reste de la phrase, le respect de l’art, un travail assidu, l’honnêteté dans sa pratique donneront naissance à la grandeur.
Des méthodes astucieuses donneront naissance à des méthodes encore plus astucieuses, des exercices inhabituels donneront naissance à des exercices encore plus inhabituels; le vent et la foudre dans un centimètre – comment ne pas se sentir humble ?
Lorsque l’on connaît bien le système Wing Chun et que l’on a pour mission de le transmettre, il faut souvent faire preuve d’imagination et être créatif afin de créer des chemins qui pourront être compris et assimilés par les élèves de manière simple et efficace.
Un exemple, quand j’enseigne le système de pas, je fais référence aux rails de chemin de fer pour faire assimiler plusieurs concepts comme l’équilibre, la notion de distance, etc… Lorsque j’aborde cette méthode avec mon maitre Fok Chiu, il considère cela comme une méthode astucieuse. Suivant cette idée, j’ai créé en parallèle tout un tas d’exercices qui me permettent de faire appliquer les concepts sous-jacents que je cherche à donner aux élèves.
Plus une astuce est simple et pratique, plus elle sera efficace. Quand cela marche, bien sûr le professeur peut se sentir fort et son égo faire un petit bon, mais il doit prendre conscience que c’est le système Wing Chun qui est le révélateur, pas sa personne, il faut donc se sentir humble de cette réussite.
Le vent c’est l’air, l’air c’est le Qi, c’est dans le souffle de vie que réside la puissance. Il est dit dans le Tao que vivre l’esprit du Tao ce serait « Vivre comme le vent », agir comme le souffle, sans intention, sans plan, sans but.
La foudre est significative dans la tradition Chinoise, elle symbolise les efforts sincères de pratiquer les enseignements du Tao dans l’unité et le même sens que nos mécanismes physiologiques.
Celui qui arrive à mettre le vent (le Qi) dans l’unité du corps la plus parfaite au moment juste, le moment juste étant le centimètre qui nous sépare de notre action du moment à la prochaine action, atteint le succès.
La représentation la plus connue dans le Wing Chun est le coup de poing sans recul démontré par Bruce Lee, qui en fait se dit « Kei To qui signifie Inch power », c’est-à-dire la puissance dans un centimètre.
REFRAIN :
Les véritables mots du fondateur:
La vraie compétence du Wing Chun est difficile à trouver, il y a beaucoup de niveaux différents.
On nous invite ici à ne pas s’enfermer dans des certitudes ou des croyances, la vraie compétence du Wing Chun est multiple.
Celui qui cherche juste à apprendre le combat peut apprendre le Wing Chun, car il a prouvé sa capacité à former des combattants depuis plusieurs générations.
Celui qui cherche un modèle de développement personnel à travers un art martial peut envisager le Wing Chun, car il regorge des enseignements du taôisme et de la faculté à acquérir le lâcher-prise (Wu Wei).
Celui qui cherche un art de bien être peut choisir le Wing Chun, car il est adapté à travailler la posturologie, le souffle et la méditation.
Mais chaque professeur ayant son expérience, ses compétences et sa pensée, les niveaux sont différents et sélectifs.
Il y a des éléments qui pour vous seront choquants ou perturbants chez un professeur qui a un mode de pensée différent du votre, et à l’inverse il y a des professeurs qui vous donneront l’impression d’avoir construit leur apprentissage pour vous.
L’idée ici doit se voir sous deux angles et vous amener à vous poser les questions suivantes : quelle est ma voie ? et qui me permettra de cheminer pour l’atteindre ?
L’art véritable sera trouvé dans les circonstances les plus improbables; vous devez être intelligent et assidu à travers les années, le pratiquant indigne sera toujours un bateau solitaire dans un grand océan.
Dans la première phrase de cette sentence, on introduit l’idée qui est que l’on ne trouve pas ce que l’on cherche et qu’on trouve ce que l’on ne cherche pas.
Il vous est souvent arrivé je pense d’être dans l’attente de quelque chose et de trépigner d’impatience mais que cela ne vienne pas, et à l’inverse au moment où vous ne vous y attendiez plus ou vous aviez renoncé à l’avoir, cette chose arrive.
Souvent les choses vont apparaître au grand jour alors que l’on promenait son attention au gré du courant, c’est ce que fait ce système Wing Chun, il vous apprend pour peu que vous soyez ouvert et patient. Avec le temps les réponses viennent.
Le bateau en Asie a une symbolique. Vous trouverez souvent chez les dirigeants de grandes ou petites sociétés asiatiques une maquette de bateau dans leur bureau qui indique qu’ils se voient comme le capitaine dirigeant son équipage par ses orientations et sa vision de l’avenir.
La personne qui se met à la pratique du Wing Chun embarque sur le navire de son professeur/maitre et s’il est indigne des fonctions qu’on lui demande d’effectuer par des envies trop pressantes ou des attitudes discordantes, il ne sera pas suivi par l’ensemble de l’équipage et s’en retrouvera seul.
Si vous vous souvenez du film opération dragon avec Bruce Lee, vous vous souvenez de cette scène où les combattants qui vont participer au tournoi d’arts martiaux sur l’ile de M. Han sont sur un bateau, et l’un des combattants a une attitude délétère vis-à-vis de l’équipage, Bruce Lee va alors par la ruse le mettre sur une chaloupe pour le laisser au milieu de la mer seul.
L’art protège l’art!
Comme il a été dit précédemment, l’art du Wing Chun est multi-facette.
On peut le voir comme art de combat, art de développement ou art corporel, cet avantage de pouvoir être perçu par le plus grand nombre de la manière dont chacun peut en tirer profit lui permet d’assurer sa subsistance.
Mais à l’image d’un tableau de peintre qui suscite une émotion relativement basique d’appréciation positive ou négative chez toutes personnes, il prendra aussi une toute autre dimension à partir du moment où le guide du musée vous aura expliqué l’histoire du tableau
qui vous amènera à découvrir l’histoire de l’artiste.
On comprend ainsi les choix de l’artiste, dans ses couleurs, ses lieux ou perspectives représentées et on se met alors à réfléchir à tout ce que le guide n’a pas dit. Y aurait-t-il d’autres connaissances qui permettraient de pousser plus avant et d’avoir alors une vision plus grande et parfois même de commencer son chemin d’artiste.
Bien évidemment pour devenir un grand artiste martial, seul le temps, la ténacité et le travail permettront à ceux qui en ont le courage de devenir de grands pratiquants et peut-être plus un jour.
Un professeur est le guide du musée. Quant au maitre, il est celui qui attise les vocations et valorise les savoirs.
Conclusion :
Nous voilà arrivé à la fin de cette chanson, j’espère que sa mélodie vous trottera dans la tête un moment et que ce décryptage vous apportera, si ce n’est des améliorations dans votre pratique, au moins une évolution sur vos idées et sur votre recherche martiale.
Cette chanson nous montre l’abondance et la richesse du Wing Chun.
Vous aurez remarqué qu’avec ce décryptage je n’ai pas respecté la tradition des origines, qui nous demande de garder secret et de transmettre à l’oral, mais chaque génération a la charge de sauvegarder et transmettre avec son temps, et aujourd’hui la meilleure communication révolutionnaire est l’internet et les réseaux sociaux.
« Toute forme de connaissance, au bout du compte, est une connaissance de soi-même. » Bruce Lee