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Environnement et enseignement.

23.03.2023

Environnement & enseignement !

 

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Introduction

Oui je sais qu’on entend parler environnement chaque jour à présent, mais je ne vais pas parler de ma fibre écolo 🙂 Non, pour faire suite à l’article précédent sur les lignées, je voulais aborder un autre point qui est celui de la dérive interne à un club !

Pour résumer, on pourrait dire qu’une lignée donne une grande orientation sur la manière d’aborder les principes fondamentaux du Wing Chun. De ce fait, tous les pratiquants d’une même lignée devraient pouvoir se reconnaitre aisément, et disons le, c’est le cas.

 

D’un autre côté, quand on y regarde de plus près, on finit toujours par trouver des différences dans la manière de faire tel ou tel mouvement dans un Tao, on trouve toujours des élèves venant d’une section très à l’aise dans le Cham Kiu et beaucoup moins sur le reste, des élèves plus ou moins aguérris en combat léger, et parfois même de véritables orientations différentes sur un point ou un autre.

 

Alors qu’est-ce qui fait qu’en partant d’un même enseignant, on arrive à toutes ces différences ? Pourquoi l’enseignement d’une section à l’autre d’une même école peut varier ? Pourquoi l’enseignement au sein d’une même section peut changer autant d’une période à l’autre ?

Prenons les choses dans l’ordre : si on résume rapido, une école c’est une matière à enseigner, un professeur, des élèves et un lieu dédié à l’apprentissage.

 

Pour la matière à enseigner, je vous renvoie à l’article sur les lignées : le Wing Chun est un art d’adaptation, chaque lignée a pris telle et telle idée sur chaque principe fondamental et va orienter sa pratique en fonction.

 

Alors allons au cran suivant : le professeur.

 

Le professeur peut, s’il le souhaite, enseigner de la même manière à tout le monde, toute sa carrière ou comme Yp Man qui avait choisi une toute autre voie, celle d’orienter chaque élève qui avait un certain potentiel, vers le maximum de son potentiel. Résultat, quand ces élèves deviennent à leur tour des instructeurs ou des professeurs, il est évident qu’ils ne vont pas tout à fait transmettre la même chose. Les fondements seront les mêmes, la forme que cela prendra sera différente.

 

Bien sur ces deux voies ne sont pas uniques et peuvent se mélanger ou passer de l’une à l’autre. Chow Tze Chuen par exemple, lorsque je suis arrivée chez lui en 1994, avait un enseignement qui était le même pour tous avec un très haut niveau d’exigence, on ne passait pas a la suite tant que la réalisation n’était pas pour lui abouti, cela m’a valu de rester « bloquer » sur le premier niveau du Cham Kiu pendant 3 ans juste parce que mon placement n’était pas à la hauteur de ces attentes. Plus tard en prenant de l’âge, Chow Tze Chuen a changé sa façon d’enseigner car il avait en tête qu’il n’aurait peut être, pas le temps de finir la formation de certains élèves, et il se mit à faire comme Yp Man, Chow se concentrait sur le potentiel de chaque élèves et adaptait son enseignement.

 

Ces deux premiers points sont évidents, et ce sont des choses que l’on discute régulièrement, mais ce que je voudrais aborder aujourd’hui, c’est l’autre versant de la colline, c’est-à-dire ne pas chercher les différences entre sections ou élèves par une volonté consciente ou pas de l’enseignant à transmettre telle ou telle chose plutôt qu’une autre, mais par l’importance de l’environnement sur le contenu de l’enseignement. C’est là que vous allez retrouver l’influence des élèves, et le lieu d’apprentissage. Je vais même rajouter un autre élément de l’environnement, c’est la société elle-même.

 

Pour la société, c’est assez simple à comprendre : si vous êtes dans une société où il n’y a que du combat à mains nues, vous allez vouloir vous perfectionner pour ce genre d’affrontement. Idem si vous savez que le plus grand risque vient d’une attaque au couteau. Je vous donne souvent l’exemple de la lignée William Cheung où ils ont adapté les mouvements du Siu Lim Tau pour qu’ils deviennent plus efficaces contre les attaques de type crochet (aussi vulgairement appelées les « attaques de forains » !), tout simplement car c’est contre cela que l’on va se retrouver 8 fois sur 10 dans la rue. Parfois il n’en faut pas plus pour adapter un art martial.

 

On peut aller un petit peu plus loin en pensant aux morphologies : si je vous demande d’imaginer un russe typique, et un chinois typique, je parie que vous avez deux hommes totalement différents en tête. Et bien forcément que cela va influencer l’art martial au niveau local : les russes de manière générale ne vont pas orienter leur pratique dans le même sens que les chinois, et c’est bien normal. Chacun tire parti de ses qualités (flexibilité dans un cas, force brute dans l’autre) et de ses défauts (manque de flexibilité, manque de force) pour adapter l’art martial à son besoin.

 

Mais encore une fois, cela ne nous concerne pas vraiment à notre niveau puisque ce sont des paramètres qui nous échappent plus ou moins : on est dans une société donnée, dans une lignée donnée et les deux n’évoluent pas selon notre bon plaisir individuel.

 

Alors revenons dans une école à un moment donné : comment les élèves peuvent influencer le contenu d’un cours ?

 

Déjà, il faut se dire que c’est un paramètre crucial au démarrage d’une école ou d’une section, quand il y a peu d’élèves. Quand vous démarrez, vous êtes contents de voir arriver un ou deux élèves, et vous êtes encore plus content quand ils reviennent l’année suivante. Et bien il faut se dire qu’à ce moment précis commence à se jouer l’orientation du contenu de l’enseignement ! Car vous allez faire ce que vous pouvez pour contenter cet élève, lui donner envie de rester encore. Alors s’il est orienté un peu combat, vous allez tôt ou tard introduire le combat dans les cours. Vous allez orienter les exercices pour leur donner une orientation très pratique, applicative. Si au contraire votre élève n’est pas un guerrier dans l’âme mais s’épanouit dans la technique pure, vous allez probablement tenter de le nourrir sur ce versant là. Votre section commence à se colorer d’une certaine manière.

 

Bien souvent en plus, vous allez vous appuyer sur cet élève ou ces quelques élèves pour montrer les exercices, ils deviennent un peu l’exemple à suivre. Et bien sûr c’est cet élève qui devient votre remplaçant en votre absence. Elève qui dans toute autre section ne se verrait pas forcément attribuer ce rôle car trop jeune dans l’apprentissage, mais qui se retrouve propulsé en première ligne dans la section naissante. Et comme il est encore jeune, il va naturellement orienter les choses vers ce qu’il sait faire, ne pouvant de toutes façons pas faire autre chose. La complicité qui se forme entre cet élève et le professeur va encore renforcer la coloration générale du cours.

 

Bien entendu, quand l’instructeur ou le professeur est plus aguerri, il ne va pas se laisser influencer de la même manière. Il sait où il va, il sait comment il veut orienter les choses et dès le départ, il va guider les premiers élèves d’une certaine manière.

 

Cela étant quelques années après, généralement un petit groupe se forme, c’est le noyau dur de l’école ou de la section. La présence de ces élèves garantit un socle, mais il ne faut pas l’oublier, leur présence oriente aussi très clairement la nature des futurs élèves qui vont s’inscrire, ou en tout cas la nature de ceux qui vont rester! Si vous avez un groupe de gens très sérieux qui parlent peu et bossent dur, celui qui va arriver en mode loisir risque de ne pas se sentir à l’aise. A l’opposé si vous avez réussi à former un groupe de potes, il ne faut pas croire que c’est plus facile pour les nouveaux arrivants, car en plus de se former à l’art martial, il faut qu’ils réussissent à se faire une place dans un groupe un peu fermé, qui a déjà ses codes, ses blagues, sa manière de faire. Les seuls qui y parviendront seront soit du même modèle, soit les rois de l’adaptation. Et on y revient : si le groupe s’est formé autour d’un gout commun pour le travail technique, votre section va devenir technique ; si le groupe s’est formé autour d’une volonté à apprendre à se battre, votre cours va devenir applicatif à fond ; si le groupe aime le Chi Sao, votre section va faire du Chi Sao beaucoup plus que les autres. Les élèves influencent à fond le cours.

 

En plus de cela, le professeur va devoir s’adapter à l’ambiance: élèves très sérieux = le travail avant le lien social ; envie d’apprendre le combat = y a-t-il de la confiance entre les élèves ? sont-ils capables de se maîtriser ? ou cours plutôt orienté défoule, ambiance, exercices de coopération = la bonne ambiance comme socle du travail. D’une génération d’élève à l’autre, cela peut beaucoup évoluer.

 

Maintenant si on regarde encore d’un peu plus près une section déjà établie depuis plusieurs années, avec un enseignant qui a de l’expérience. Je m’adresse à vous, les instructeurs de France Wing Chun : je suis certain que vous avez déjà vécu cela plusieurs fois, à savoir que vous ne faites pas le même cours en fonction de qui vient tel ou tel jour.

 

Dans ma section, la plus ancienne, j’ai des élèves de tous niveaux, du plus débutant à celui qui va pouvoir à son tour enseigner. Sauf que les sections de Wing Chun regroupent rarement 50 élèves. Donc vous avez au mieux 1 ou 2 élèves de chaque niveau, voire un fossé entre certains niveaux. Côté débutant, ça n’est pas très embêtant, vous pouvez généralement former un groupe de travail avec facilement 6 élèves dedans. Le contenu de l’enseignement est bien défini, c’est assez simple à gérer, vous pouvez même vous faire aider par des animateurs. Les débutants dans une section déjà bien établie ne vont pas forcément influencer le contenu du cours. Ils le colorent par leur personnalité, mais n’influencent pas le contenu. Par contre ils nécessitent beaucoup de temps car ils ne sont pas autonomes du tout, et c’est plutôt cela qui va influencer les choses. Si vous avez une section avec quasiment que des débutants, le cours sera pour eux.

 

Côté élèves anciens, c’est plus compliqué. Certains restent car ils aiment le Wing Chun, ils aiment passer un moment convivial, faire du sport, sortir de chez eux. C’est une pratique en mode loisir avant tout. Et puis vous avez ceux qui viennent pour apprendre, pour avancer, pour atteindre un certain niveau, voire pour enseigner. Mais alors comment vous faites ?

 

Le mois dernier, au stage d’échange entre lignées, il a été dit que quand on est 2 à travailler, on se cale sur « le plus lent ». Entendez donc sur celui qui est le moins avancé. Cela parait logique à tout point de vue, le moins avancé ne peut pas d’un seul coup se mettre à niveau, alors que le plus avancé devrait pouvoir s’adapter sans problème. Certes, mais à ce jeu là, les plus avancés vont partir de vos cours tôt ou tard, car ronger son frein peut s’entendre de manière ponctuelle, mais pas en permanence. Surtout que si les partenaires sont dans une pratique de loisir, sans objectif particulier, ils ne vont pas avancer à la même vitesse, voire même ne plus avancer au bout d’un moment. Alors vous vous retrouvez avec des élèves que vous avez formé à un certain niveau, qui veulent continuer à avancer, mais qui ne trouvent plus de partenaires autres que le professeur lui-même. Pourtant ceux sont eux les « locomotives » du cours (en dehors du professeur bien sûr), alors si vous les perdez, le contenu du cours va encore devoir évoluer pour guider ceux qui restent. Alors vous leur donnez quand vous pouvez des instants de cours, histoire de les maintenir motivés, mais il est clair qu’ils ne peuvent plus avancer à leur rythme.

 

Et oui, comme le cours collectif est par définition ouvert à tous, vous ne pouvez pas vous centrer sur ce groupe des plus avancés, et vous verrez que votre section s’oriente assez naturellement vers le groupe intermédiaire, vers leurs besoins, partant du principe que les autres peuvent malgré tout travailler. Sans compter que ce groupe est généralement enthousiaste : les plus avancés continuent de les nourrir, et les débutants qui avancent deviennent de nouveaux partenaires intéressants année après année. Résultat dans les cours, c’est Siu Lim Tau et Cham Kiu à fond. Biu Jee très ponctuellement, voire même pas du tout. Et les formes avancées pour ainsi dire jamais. Pour que cela change, il faudrait du monde, beaucoup de monde dans les sections, afin de nourrir chaque niveau.

 

Je pense que vous comprenez un peu mieux à quel point les élèves qui constituent votre section orientent votre section, à la fois dans la répartition du contenu, et à la fois dans le niveau auquel vous allez centrer vos cours.

 

Il reste un dernier paramètre à ne pas négliger quand on regarde le contenu de l’enseignement: ce sont les locaux ! Les parisiens qui m’ont suivi l’ont bien vu. A la maison du Tai Chi, la salle était relativement grande, et le sol était revêtu de tapis souples : on pouvait travailler tout ce que l’on voulait, y compris de petites sessions au sol, ou des amenés au sol. Il y avait aussi un mannequin de bois, donc les plus avancés pouvaient y travailler de temps en temps. Puis nous avons quitté ces lieux pour intégrer des salles nettement plus petites.

 

Aujourd’hui à Saint Ouen, la salle est agréable, mais il est évident que par sa dimension il est compliqué d’y travailler à plus d’une quinzaine de personnes en dynamique, donc les exercices doivent s’adapter : on ne bouge presque pas. Alors impossible d’envisager des sessions de Sparring par exemple car le danger ne viendra pas des coups mais des collisions ! On ne peut pas non plus travailler au sol, et la salle n’étant pas à destination martiale initialement, elle n’est pas équipée pour d’autres types de travail. Les pratiquants de Montmagny par exemple sont nettement plus privilégiés. En tout cas, cela influence forcément le contenu des cours : pas de mannequin… et bien pas de mannequin ! Pas de place = pas de Sparring, pas d’exercices avec accessoires type bâtons en mousse ; pas de tapis = pas ou peu d’amenés au sol, etc…

 

Alors la prochaine fois que vous discuterez sur le fait que France Wing Chun est une école technique ou qu’on ne fait pas de combats même légers, posez vous les questions suivantes : est-ce que la lignée le permet (réponse facile : oui !) ; est-ce que le professeur/instructeur aime cela ; si oui, est-ce que les élèves qui constituent le cours seraient tous prêts à le faire ; si oui, est-ce que les locaux permettent une pratique sécurisée ? De la même manière, pour les débutants qui pourraient être déçus de ne pas voir un mannequin dans la salle, regardez si le niveau global de la section nécessite la présence d’un mannequin, regardez aussi si le lieu se prêterait à la présence d’un ou plusieurs mannequins ! Et ceci pour tout questionnement sur le contenu de nos cours.

 

Alors en conclusion, il ne faut pas oublier que c’est ceux qui viennent en cours qui influencent le cours ! Pour une nouvelle section, pas de soucis, vous pouvez enseigner/apprendre dans une salle sans équipement particulier, car le temps que les élèves montent à un niveau exigeant des adaptations, vous aurez le temps de vous organiser. Par contre quand le niveau monte, il est temps de se poser la question : est-ce que le contenu du cours est équilibré pour tous les niveaux, est-ce que les plus avancés ont de quoi s’exprimer ? Car il est important de se dire qu’à force de centrer les cours sur ce que l’on sait le mieux faire, ou en « privilégiant » le groupe de niveau débutant voire intermédiaire, les notions avancées du Wing Chun vont se perdre. Plus personne ne se sentira à l’aise à partir du Biu Jee, et encore moins pour le reste. Et même au niveau Siu Lim Tau, tout restera superficiel.

 

C’est clairement ce qui se passe dans le monde du Wing Chun aujourd’hui. Au mieux, les écoles s’orientent combat et vont prendre ailleurs ce qu’elles ne savent plus trouver dans le Wing Chun, quitte à réinventer certaines choses (je reparlerai de cela à l’occasion d’un autre article). Au pire, le Wing Chun devient un simili art technico-pratique et perd son côté martial. Alors ayez bien conscience que chacun d’entre vous, élève ou instructeur, fait de sa section ce qu’elle est et ce qu’elle va devenir !

 

Pour ma part, le problème se situe beaucoup plus au niveau des locaux, mais la conséquence est la même. J’aimerais enseigner les formes avancées, mais je n’ai plus l’environnement qui me le permet. Vous avez vu ces derniers temps que je vous invite à venir dans le 95 de temps en temps avec une salle en sous sol. Cette salle à laquelle j’ai un accès privilégié me donne une porte de sortie et de nouvelles envies: certes elle n’est pas parfaite, mais elle regroupe dans un espace restreint à peu près tous mes besoins et quand je dis cela, je parle aussi de vos besoins. L’équipement arrive petit à petit, il y a déjà un mannequin et un sac de frappe, et vous voyez pour ceux qui sont venus en stage que ça donne envie de travailler sur ces accessoires, tout simplement. Alors si ces dernières années je me suis centré à fond sur l’enseignement technique notamment du Cham Kiu, les choses devraient changer à nouveau, car mes élèves ont besoin de cela. C’est aussi cela maintenir une école : adapter le contenu et l’ambiance à ceux qui sont là, et trouver les conditions de pratique qui s’adaptent à tous.

 

Alors définitivement, même si le professeur a toutes les compétences requises, un cours est ce que vous en faites !

Lionel Roulier

author: Lionel Roulier

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