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Et si Ip Man avait tué les lignées ?

10.01.2023

Et si Yp Man avait tué les lignées ?

 

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Introduction

En voilà un titre provocateur ! Oser dire que le grand maître aurait contribué à effacer cette spécificité du monde du Wing Chun… quelle drôle d’idée.

Lorsque j’ai commencé le Wing Chun, il y a plus de 30 ans maintenant, appartenir à la bonne lignée était important. Une lignée descendant de Yp Man à Hong Kong avait une plus grande notoriété qu’une autre lignée provenant d’un autre descendant de Chan Wah Sun venant de Chine populaire. Ainsi, tous les élèves voulant se mettre au Wing Chun cherchaient l’école d’une lignée bien particulière, ou tout au moins d’une lignée connue, c’était une question de crédibilité. Peu importe finalement l’enseignant ou l’enseignement, le choix se faisait sur un autre critère.

 

L’avantage de ce système, c’est qu’a priori les fondements de la lignée restent protégés puisqu’ils tournent en cercle fermé. Il faut savoir aussi qu’avant de pouvoir enseigner et se revendiquer de cette même lignée, il fallait recevoir l’aval du maître de l’école, qui ne vous donnait le précieux sésame qu’à certaines conditions. C’est ainsi que l’héritage s’est perpétué, en tout cas en apparence, car du fondateur d’une lignée à la 5 ème génération , il y a forcément du changement.

 

Avec du recul, ce que l’on comprend c’est que la lignée est plus une association d’idées venant de divers personnages. Par exemple dans ce que j’appelle ma lignée, il y a Chow Tze Chuen qui a appris directement de Yp Man. Bien que n’ayant bien sûr jamais rencontré celui-ci, les histoires racontées par Maitre Chow sur la façon dont Yp Man lui avait dit ceci ou cela, dont la façon que lui avait eu d’interpréter et de produire quelque chose sont autant de petites expériences indirectes qui se sont incrustées dans ma façon de pratiquer. Le plus drôle c’est que moi-même aujourd’hui j’aime à raconter ces histoires à mes élèves, comme si j’en avais été témoin. Bien sur mon interprétation est peut être, voire sûrement différente de celle de Chow, mais elle fait surtout perdurer une façon de penser et donc de faire.

 

OK mais alors en quoi Yp Man aurait tué l’idée de lignée ? Et bien plusieurs raisons à ce que j’affirme.

 

La première, la plus évidente, c’est que Yp Man n’a pas nommé de successeur. C’est l’une des raisons majeure aux guerres de clocher qui affectent le monde du Wing Chun : qui est le « véritable » héritier de la lignée Yp Man ? Depuis sa disparition, certains n’ont eu de cesse que de prouver qu’ils étaient l’héritier, dans l’idée de perpétuer la lignée. Prenez Leung Ting par exemple, son nom est connu sur les 5 continents. D’autres sont restés plus discrets. En dehors de nous et de quelques rares personnes qui sont allées directement à Hong Kong, qui connait notre maître Chow Tze Chuen ? Pourtant lui aussi a appris auprès du maître, il avait même une relation privilégiée avec lui.

 

La seconde raison, c’est que YP Man a offert à chacun de ses élèves un enseignement différent, un enseignement pragmatique basé sur les aptitudes réelles et compétences corporelles de ses élèves.

 

Wong Sheung Leung n’a pas reçu la même chose que Chow Tze Chuen. Les deux sont devenus redoutables dans leurs domaines respectifs, les deux ont suivi à la lettre l’enseignement de leur maître, mais si vous comparez la pratique venant de ces deux nouvelles lignées, les différences sont flagrantes. Prenez notre Wing Chun et comparez le à une école de la lignée Wong Sheun Leung.

 

Vous pourrez voir très vite que nous avons un Wing Chun plus technique, basé sur le mouvement, l’esquive, la flexibilité super adapté à un Chow Tze Chuen qui mesurait moins d’un mètre 60 et pesait 50 kilos tout mouillé, tandis que les élèves de la lignée Wong Sheung Leung qui lui était plus massif, proposent un Wing Chun plus offensif, cisaillent vigoureusement avec leur punch sur la ligne centrale, c’est un Wing Chun avec un axe de confrontation directe plus marqué.

 

Bien sûr, vous allez retrouver toutes les formes dans toutes les lignées, formes à mains nues, le mannequin, les couteaux et le bâton long. On parle le même langage, la ligne centrale est la base du travail, etc…

 

Donc, nous avons aujourd’hui de multiples sous-lignées qui n’ont pas exactement la même façon de faire les formes ou le Chi Sao, cela venant bien sur des diverses interprétations que les enseignants ont eu. Il y a un socle commun, une cohérence dans l’ensemble. Tout cela nous permet de comprendre qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise lignée, il y a juste des idées différentes dans chacune. Et oui, il y a des lignées qui divergent de plus en plus.

 

Prenez l’image d’un arbre. Au tout départ, il y avait le fondateur, qui a transmis à 1 élève tout son enseignement, qui lui-même a transmis tout ce qu’il savait à son propre élève. Vous êtes au niveau du tronc, c’est la ligne droite, solide, inébranlable. Puis il y a eu Yp Man qui a transmis partiellement à plusieurs élèves. Tous sont très proches du maître mais tous sont différents : c’est la naissance des premières branches, épaisses, solides, reliées au tronc, mais qui commencent à partir chacune dans leur direction.

 

Il y a aussi une troisième raison, plus subie que choisie, qui est celle de la diversité culturelle. Car même si on sait que Yp Man n’était pas pour le partage du savoir Wing Chun aux non chinois, il a dû abandonner la Chine continentale pour diverses raisons et est venu s’installer à Hong Kong, un « Dominium » britannique au mode de pensée occidentale. Il a formé donc des personnes qui elles étaient empreintes de cet esprit occidental.

 

En occident, l’approche est toute différente. La plupart du temps, les élèves ne s’intéressent pas à la lignée de prime abord. Ils choisissent un enseignant, se renseignent sur lui en venant le voir, en jaugeant l’ambiance et la nature des cours, en regardant ses vidéos, etc… Le choix est basé sur ce que propose l’enseignant.

 

Partant de ces changements qui ont eu lieu dans chaque courant, branche, lignée du style Wing Chun, la demande a évolué : aujourd’hui beaucoup d’élèves viennent pratiquer afin de devenir de bons combattants ou au moins de bons pratiquants. Ils ne viennent pas chercher la notoriété du nom et se contenter de cela pour se dire qu’ils sont quelqu’un de valable dans la société. Car il faut bien l’admettre, appartenir à telle ou telle lignée connue ne fait pas de vous le combattant ultime. Votre adversaire ou encore pire votre agresseur, ne va pas, avant de vous sauter dessus, vous demander de quelle lignée vous venez et tourner les talons dans le cas ou votre lignée ou enseignant a bonne réputation. Non, en plus de vos qualités intrinsèques, c’est la qualité de votre enseignant qui va vous amener à votre objectif.

 

Et puis notre vision de la lignée est beaucoup plus primaire : on s’intéresse assez peu aux aïeuls. On regarde surtout ce que nous avons devant les yeux, partant du principe que ça n’est pas parce que vous venez d’une bonne lignée que vous êtes héritier des qualités de cette lignée. Dans notre idée, on apprend de son professeur en direct, et connaitre ses ancêtres est au plus un souci d’ordre éthique et au pire cela peut devenir juste décoratif sur son CV martial.

 

Alors si je reviens à mon titre, il serait juste de le compléter un peu : certes Yp Man a tué l’idée de lignée en élargissant son enseignement à plusieurs élèves et en le morcelant, mais finalement, n’aurait-il pas encouragé le talent et ce faisant n’aurait-il pas rendu le Wing Chun encore plus solide qu’avant ?

 

La conséquence à cela est que l’individu prend le pas sur la lignée permettant ainsi au style de perdurer dans le temps quoi qu’il arrive, alors qu’il aurait peut-être disparu si les anciennes façons de voir, de faire et de pratiquer avaient suivi leur dictat coute que coute.

 

Au passage, cette façon de voir les lignées devient toute aussi vraie en Chine : la plupart du temps, quand un enseignant arrive à maturité, et qu’il insère ses points de vue et son expérience dans son Wing Chun, il changera le nom de son école (qui au départ bien souvent porte le nom de son maitre) pour mettre son propre nom devant le mot Wing Chun. Ceci est tout autant par respect de l’idée de lignée car ce faisant il a bien conscience qu’il dérive par rapport à son maître, que par appât du gain ou soif de reconnaissance, il ne faut pas le nier.

 

Le seul problème que je vois dans cette nouvelle façon d’envisager les lignées est peut-être de se couper des racines !

 

Revenons à l’image de l’arbre, on se situe au niveau des feuilles qui bougent et qui s’agitent, qui attirent le regard. En partant d’une belle feuille, on sait que la branche qui la tient est bien vivante au moment où on regarde. Oui mais est-ce que la branche est reliée au tronc et sera alimentée toute sa vie, ou bien est-elle condamnée à tomber au premier coup de vent car elle s’est trop éloignée du tronc ? Difficile à dire au premier coup d’œil.

 

Si vous étudiez bien la question, vous pourrez quand même voir si le système tient la route ou pas. Beaucoup de nouvelles lignées brillent par l’intermédiaire de vidéos bien montées. Mais si vous allez voir sur place, vous ne trouvez pas d’élèves avancés, de piliers. Tout simplement car il n’y a plus grand-chose à apprendre, la profondeur du système s’est perdue et l’enseignant va vous montrer ce qu’il sait et ne pourra pas aller plus loin. Vous faites le tour en 3 ou 4 ans grand maximum et personne ne prend le relais pour enseigner car il n’y a plus assez de matière. Les vidéos tournent en boucle sur la même chose et l’effet « wouah » s’estompe assez vite, ne survivant généralement pas à la 1ere génération.

 

Alors que si vous avez choisi un professeur capable de vous emmener sur le long terme, vous allez à votre tour être capable de perpétuer quelque chose. Étrangement, quand vous trouvez un tel professeur, vous vous rendez compte qu’il était sur une branche solide, en d’autres termes qu’il avait respecté sa lignée et l’enseignement des anciens au plus près !

 

Il est illusoire de croire que le Wing Chun originel puisse se perpétuer de génération en génération.

 

Un maître enseigne à plusieurs élèves, chaque maître a ses propres idées, issues de qui il est, de la société dans laquelle il vit, des évolutions des modes de combat, etc… Mais comme j’aime à le répéter, le Wing Chun est un art d’idées, pas de techniques. Si les idées fondatrices sont respectées, peu importe la manière dont elles sont montrées, peu importe que ce soit via maître truc ou maître bidule qui serait de la troisième génération en ligne droite de tel grand maître. Car si le Wing Chun a survécu plusieurs centaines d’années, c’est qu’il est suffisamment cohérent pour accepter les évolutions sans jamais perdre sa base 😉

Lionel Roulier

author: Lionel Roulier

Comment
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livio

Bonjour

Pour ma part , je ne suis pas imprégné de la culture orientale de manière générale et martial . J’ai toujours aimé les arts martiaux mais quand au choix des écoles, celui ci c’est fait par le choix de la proximité et non de tel ou tel maitre.
j’ai pris connaissance pour la première fois de l’importance d’un maitre au travers du nghia long viet vo dao et du Grand Maitre Phan Hoang .Il a transmis son art et une philosophie a ses disciples.

Il est difficile de s’imaginer cet arbre fort au tronc robuste et toutes les ramifications qui ont eu lieu même s’il facile de comprendre que la transmission et différente entre chaque enseignant.
Comme tu l’as évoqué en fonction des affinités avec son sifu, son caractère , ses capacité physique, sa carrure, en font autant de branche que de possibilité.
Nous voyons dans les films ou les élèves défendent leurs écoles et s’affrontent parce qu’elles sont différentes. C’est la vision qui est donné des arts martiaux ou celle du vieux maitre cheveux blanc barbe blanche et médite.

Et oui nous retrouvons beaucoup de vidéos sur internet qui servent a faire la course au meilleure mais je n’ai effectivement pour ma part pas trouvé de vidéos qui parle des aïeux et très peu de la philosophie .Je pense que cette partie est réservé aux élèves les plus proches dans le but de perpétuer l’esprit de l’art et la lignée
Pourquoi tué les lignés ? est ce a cause de toutes ces différences ?
N’est pas du aux générations suivante qui se sont éloignés des maitres une fois avoir pensant leur enseignement terminé ?

Les arts martiaux évoluent par leurs multiplications et par les armes de poing qui n’existaient pas .
Mais je pense qu’il ne faut pas oublier la mémoire des anciens maitre et faire durer les idées en regardant devant.

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